Felix, vous allez me dire que travailler avec Chronopassion, c’était un choix évident, naturel, celui de travailler avec le meilleur, etc. ?
Felix Baumgartner :
Pas du tout ! Mon père travaillait dans la restauration d’horloges. Il allait souvent à Paris, dans une petite boutique pas loin de chez Laurent. 20 ans plus tard, j’ai pensé à placer nos toutes premières pièces chez lui. Il y avait un côté décalé que j’aimais bien, à trouver des pièces si atypiques, en partie futuristes, chez un réparateur d’horloge traditionnelles.
Mais…
Laurent Picciotto :
…mais il m’a envoyé son frère (rires) ! Plus sérieusement, le frère de Félix est effectivement venu me voir un jour, juste avant le passage à la UR-103. C’était un stade charnière pour Urwerk, celui du passage de deux à trois dimensions. Il est arrivé avec un prototype en acier et, pour parler cash, il lui en fallait, justement, du cash ! Nous avons discuté toute une après-midi et j’ai fini par lui passer pré-commande d’un certain nombre de pièces qui ont pu, ainsi, entrer en production.
Le prototypage est une chose, la production en est une autre… Il n’y a pas eu de surprises ou retards pour les premières pièces ?
Félix Baumgartner :
Si.
Laurent Picciotto :
Non, Félix, tu es dur, pas vraiment. On a attendu un peu, mais rien d’anormal. Et puis j’avais confiance. J’entendais un discours franc, transparent.
Ce n’est pas toujours le cas d’une marque qui se lance et qui cherche à rassurer sur sa viabilité, alors qu’elle est des plus fragiles et a besoin, rapidement, de renforts financiers…
Félix Baumgartner :
C’était d’autant plus vrai que nous étions totalement indépendants, sans partenaires financiers, banques ni actionnaires : 100% indépendants et c’est toujours le cas. Il nous fallait des gens qui y croyaient. Pas beaucoup, quatre ou cinq suffisaient pour se lancer. Laurent en a fait partie. En même temps, on était honorés d’être à Saint Honoré (rires) !
Laurent Picciotto :
Les vents étaient favorables. Nous sommes dans un microcosme. J’entendais ce que mes confrères disaient. Max (Büsser, ndlr) m’encourageait vivement à regarder la jeune Urwerk. Il a contribué à façonner cette confiance.
Félix Baumgartner :
Max avait déjà de belles références. Il avait contribué à l’Opus. Il était aussi un atout précieux pour aborder les marchés latins quand, de mon côté, mon inclinaison naturelle me poussait vers les pays nordiques.
La marque, une fois lancée, a donc pu se doter d’une vision à long terme, à 5 ou 10 ans ?
Félix Baumgartner :
A 10 jours plutôt ! Je suis horloger, pas business man. La dernière fois que j’ai tenté de faire du marketing, c’était pour trouver le nom Urwerk. Je crois que je n’aurais pas pu trouver un nom moins sexy (rires) !
Pourtant, il fonctionne plutôt bien…
Laurent Picciotto :
Le nom peut effectivement faciliter ou pas la vie d’une marque. Mais j’ai la conviction que lorsque le produit est bon, il supporte son nom.
Félix Baumgartner :
La tendance était, depuis des centaines d’années, à la juxtaposition des noms des fondateurs : Vacheron Constantin, Patek Philippe, Audemars Piguet, etc. Toutefois, je constatais dans le même temps que ces marques jouaient à celle qui aurait le plus grand nombre d’aiguilles sur le cadran. Ca ne nous intéressait pas. On devait donc trouver un nom qui, dès le début, suggérait que l’on se plaçait en dehors de ce concours visant à savoir qui avait la plus grosse (rires) !
Laurent Picciotto :
Pour le coup, le nom reste très mystérieux pour beaucoup de monde…
Félix Baumgartner :
Faux ! Beaucoup de gens nous confondent avec la marque de perceuses Kraftwerk ! Nous avons une réelle notoriété dans le domaine de l’outillage (rires) ! Plus sérieusement, je n’aimais pas l’idée d’une marque type ‘Frei-Baumgartner’. Je n’aime pas la lumière. Je préfère être dans ses reflets.
Qui dit marque mystérieuse dit besoin de pédagogie à ses clients pour l’expliquer.
Laurent Picciotto :
Pas trop, non, parce que…
Félix Baumgartner (l’interrompant) :
…parce que tes clients se fient à tes choix !
Laurent Picciotto :
Pas toujours ! Nous avons beaucoup de clients qui ont littéralement ‘flashé’ sur Urwerk. Des gens très portés sur des marques traditionnelles, institutionnelles et qui sont repartis avec une Urwerk à la suite d’un coup de foudre. Sans compter les collectionneurs aigus pour qui il faut impérativement avoir toutes les références.
Vous n’avez jamais pensé à proposer des pièces plus abordables, techniquement et esthétiquement, pour toucher un plus large public et, au final, l’amener progressivement vers un plus haut degré de complications ?
Félix Baumgartner :
On l’a fait en 2001 avec le projet Goldpfeil. Le design était certes très travaillé mais la lecture à aiguilles était tout ce qu’il y avait de conventionnel. Ca n’a pas fonctionné.
Vous restez attentifs l’un à l’autre, aux avis mutuels ?
Laurent Picciotto :
Félix m’écoute toujours. Mais il n’en fait jamais rien ! Sauf une fois, lorsque je lui ai soufflé que nous pouvions travailler ensemble sur une série limitée ‘White Shark’. Une fois le projet validé, Felix et Martin voulaient y mettre une boîte en platine. J’ai suggéré l’acier. Ca a fonctionné. Mais c’était bien la seule fois !
Félix Baumgartner :
C’est vrai. Je suis rigide, je le reconnais ! Mais c’est cette rigidité qui me permet d’aller au bout de nos idées.
Laurent Picciotto :
Le compromis n’est jamais la solution.
Félix Baumgartner :
Notre force, c’est d’utiliser la puissance que nous apporte notre croissance, mais sans grandir.
Journalist : Olivier Müller (01/2013)