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Angelo Bonati, CEO of Panerai.

Interviews Croisées

Panerai, c’est un peu une histoire à part, chez Chronopassion. 

 
Laurent Picciotto :
A plus d’un égard, oui. Déjà, il y a l’ancienneté. J’ai rencontré Angelo Bonati il y a 15 ans, en 1998. Et ce n’est pas le début de l’aventure car, précédemment, je travaillais déjà avec Franco Cologni. C’est donc une maison avec laquelle nous avons beaucoup de background. Les temps changent, Panerai reste !
 
Angelo Bonati :
Tu restes aussi le même homme ! La particularité de notre relation n’est pas ce qui est dit, mais ce qui ne se dit pas. Entre nous, deux mots suffisent. Je n’ai pas besoin de longs développements. C’est vrai pour les choses positives autant que les critiques plus fermes. J’apprécie cette franchise qui nous lie. Même si je n’écoute pas toujours tes suggestions…et heureusement d’ailleurs !
 
Laurent Picciotto :
En effet, s’il faut bien reconnaître cette qualité à Panerai, c’est sa constance, sa rigueur. C’est une maison sérieuse. Durant les deux ou trois dernières décennies, j’ai vu de trop nombreuses marques céder aux chants de sirènes s’aventurer sur des terrains qui leurs furent fatales.
 
Angelo Bonati :
L’essentiel, c’est de rester cohérent.
 

Pourtant, Laurent a dû vous bousculer à plus d’une reprise, comme il aime si souvent le faire, non ?

 
Angelo Bonati :
Il ne s’en est effectivement pas privé ! Je dirais que c’est une sorte d’égoïste discret. Il sait ce qu’il veut. Nous avons d’ailleurs travaillé ensemble sur plusieurs séries limitées où nous avons pu exprimer nos sensibilités respectives, tout en gardant une cohérence certaine à Panerai qui comporte et comportera toujours des éléments qui ne changeront pas. Laurent a pourtant bien essayé d’en changer quelques uns, mais sans succès !
 

Comment cela ? 

 
Angelo Bonati :
C’est notre cuisine interne mais, sans dévoiler de grands secrets, il sait que lorsqu’il veut me faire passer certains messages sur des éléments qu’il ne peut pas toucher, il les fait passer par d’autres canaux, par mon entourage, par exemple. Il sait que je ne céderai pas, mais il essaie malgré tout. Il est tenace !
 
Laurent Picciotto :
Je plaide coupable ! Plus sérieusement, l’essentiel est, au bout du compte, d’être d’accord et comme le dit très justement Angelo, de toujours rester cohérent envers la marque et son positionnement.
 

Et envers ses fans, pourrait-on ajouter dans le cas de Panerai. Ont-ils changé au fil des ans ? 

 
Angelo Bonati :
Tout le monde change avec le temps. A mes débuts, les Paneristi étaient réunis par la passion, avec une connaissance des produits extrêmement pointue. De vrais passionnés qui nous critiquaient parfois, mais toujours avec cœur et enthousiasme. Aujourd’hui, le cercle s’est élargi à des personnes, dirons-nous, plus opportunistes. On constate parfois une certaine spéculation. Mais dans la mesure où nous ne produisons qu’en très petites séries, limitées, nos pièces deviennent par nature rapidement des collectors. C’est le modèle économique de Panerai qui veut cela.
 

Une forte demande, peu de pièces. Comment gérer un réseau de distribution avec ces deux variables contraires ? 

 
Angelo Bonati :
C’est effectivement une équation dont la résolution demande beaucoup de justesse. Nous avions beaucoup de points de vente. Trop, en réalité. J’ai entrepris de les réduire au profit de nos magasins de marque, propriétaires. Pour autant, notre philosophie n’est pas à la réappropriation de nos points de vente mais tout simplement d’être présents dans les meilleurs d’entre eux. C’est pourquoi des enseignes comme Chronopassion comptent beaucoup pour nous. Nous avons une clientèle de spécialistes. Il est primordial d’avoir en face également les meilleurs spécialistes.
 

Pour autant, à un certain degré, la complémentarité entre flagship stores et multimarques peut tourner à la concurrence. 

 
Laurent Picciotto :
C’est un état de fait et ça n’est pas nouveau. Une boutique de marque vit par ses pièces. Une enseigne spécialisée comme Chronopassion, indépendante, vit par ses choix. Troisième catégorie, les généralistes, eux, sont de plus en plus dans la ligne de mire. Si ces boutiques peuvent survivre, c’est avant tout en se formant, en acquérant un niveau de compétences plus élevé. Mais au final, savoir si l’on est pour ou contre l’un de ces modèles n’est pas la question. Chacun à ses avantages. Le flagship permet de centraliser une offre, l’indépendant permet une ouverture sur de nouvelles collections avec un haut niveau d’expertise. Et augmenter la production d’une marque comme Panerai ne résoudra rien. Quoi que l’on fasse, la demande sera toujours supérieure à l’offre.
 
Angelo Bonati :
Que l’on parle produit ou point de vente, le critère de sélection doit être le même : la qualité. Comme je le disais, nous avions trop de points de vente. J’en ai donc réduit le nombre en passant de 500 à 350. Il ne s’agit pas de réduire pour réduire. La preuve, nous venons d’en ouvrir cinq en Chine ! Il s’agit simplement de concentrer nos efforts sur la valeur ajoutée que nous apportent nos points de vente. De toutes manières, cette tendance à la spécialisation n’est pas nouvelle, elle a au moins 30 ans.
 

M. Bonati, vous avez déclaré à votre arrivée avoir repris une marque, Panerai, « sans produits, sans contenus, sans marque ». Vous seriez toujours aussi partant en 2013 avec ces mêmes éléments ? 

 
Angelo Bonati :
Oui, sans hésiter. La marque avait un réel potentiel. C’est une question de foi, de conviction.
 

Laurent, même réponse ? 

 
Laurent Picciotto :
Je pense, oui. On me démarche chaque année pour une vingtaine de marques. Pour une bonne dizaine, elles n’ont pas leur place ici, sans jugement aucun. Dans les 10 autres, il y en a trois ou quatre que l’on trouve, à terme, dans nos murs. Panerai en aurait fait partie. Déjà, parce qu’il y a derrière Panerai la puissance d’un groupe, Richemont. Mais aussi et surtout parce que ce sont des pièces qui suscitent une émotion, provoquent une sensation. Et c’est suffisamment rare pour ne pas le laisser passer.
 
Journaliste : Olivier Müller (01/2013)